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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

me mettre hors d’état de veiller à mes affaires, Clotilde n’avait rien voulu me faire savoir. Pendant la représentation, cachée dans les coulisses, je voyais les avant-scènes et la loge que j’avais destinée à ma tante remplie de figures étrangères. Cela m’étonnait et m’inquiétait beaucoup, quoique je n’eusse pas de motifs d’inquiétude. Les acteurs me disaient : « Qu’est-ce que vous avez donc à vous tourmenter de cette loge ? Pensez donc à votre pièce ! Ça va bien, on applaudit. » Je n’y faisais pas attention, j’avais une idée fixe pour ma pauvre tante. Cependant, le lendemain matin, ce pressentiment était dissipé, je me disais qu’il y avait eu quelque changement dans la distribution des loges, et mon premier moment de liberté fut pour aller chez Clotilde et de là, à Chaillot. Clotilde était à la campagne. Je demande si ma tante est à Paris. « Madame Maréchal ? me répond le portier. On l’a enterrée ce matin. » Voilà comment se brise une affection de toute la vie, une affection filiale, je peux dire ; car j’aimais ma tante comme si elle m’avait mise au monde. Elle était ma mère autant que ma mère ; elle m’avait nourrie de son lait autant que ma mère ; elle m’aimait, je crois, autant que sa fille ; et elle était si bonne, si égale, si douce, si gaie, si jeune de santé, d’esprit et de cœur ! Je ne l’ai pleurée que dans la surprise du premier moment, et j’ai continué à faire mes affaires, mes corvées, et à traîner ma fièvre et ma toux, qui m’ont pris juste à ce moment-là, je ne sais par quelle coïncidence. Je sais que ma tante avait un grand âge, je savais que je