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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

certes, rien ne me sourirait plus que de vous servir. Mais, pour ce mois-ci, c’est-à-dire pour le mois où nous allons entrer, je ne puis vous rien promettre. J’ai dix mille francs à verser pour une dette d’honneur que rien au monde ne peut reculer. Je ne suis pas dans la position des propriétaires aisés, qui peuvent toujours emprunter tant qu’ils ont un petit capital au soleil. Je suis femme, c’est-à-dire mineure, séparée de mon mari légalement, et cependant toujours sous sa dépendance pour les affaires d’argent, tant les lois protègent mon sexe ! Je ne peux pas donner d’hypothèque sur ma propriété. Forcée d’emprunter pour les autres, dans des moments difficiles, je ne l’ai pu qu’en me servant, pour sauver mes amis et mes parents pauvres, de la caution d’autres parents moins pauvres. Mais cette caution les expose à perdre leur argent, si je meurs sans avoir payé. Mon mari et mon gendre n’auraient aucun scrupule d’invoquer la loi, et de leur laisser tout perdre. L’honneur de Maurice serait leur refuge ; mais Maurice aussi peut mourir. Il y a donc danger pour qui me prête, et ces amis moins pauvres dont je vous parle sont loin d’être riches. Ma conscience m’ordonne donc d’éteindre toutes mes dettes aussitôt que je reçois quelque argent de mes éditeurs. Et voilà comme quoi je tire toujours le diable par la queue. Me voici dans une de ces crises financières qui se renouvellent deux ou trois fois par an. D’ici à quinze jours, il faut que je ramasse, en redemandant, à droite et à gauche, ce qu’on me doit en