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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

le veux pas encore. Je t’ai cru grand, généreux et brave. Tu l’es en effet, sous la pression de certains événements et quand Dieu fait en toi des miracles. Mais, quand Dieu te fait sentir sa clémence, quand tu retrouves une heure de calme ou d’espérance, tu vends ta conscience et ta dignité pour un peu de plaisir et de bien-être, pour du repos, du vin et des illusions grossières. Avec des promesses de bien-être, de diminution d’impôts, on te mène où l’on veut. Avec des excitations à la souffrance, à l’héroïsme et au dévouement, qu’obtient-on de toi ? Quelques holocaustes isolés que ta masse contemple froidement ! »

Oui, je voudrais réveiller le peuple de sa torpeur et de sa honte, l’indigner sur lui-même, le faire rougir de son abaissement, et je retrouverais peut-être encore des lueurs d’éloquence que l’idée de sa colère inintelligente, la presque certitude d’être massacrée par lui le lendemain, ferait éclore plus ardentes et plus fécondes. Ce qui me retient, c’est un reste de compassion. Je ne sais pas dire à l’enfant qui se noie : « C’est ta faute ! » Je pense aux souffrances et aux misères de ce peuple coupable et si cruellement puni.

Je n’ai plus la force de lui jeter à la face l’anathème qu’il mérite. Alors je m’arrête, je me retourne vers la fiction et je fais, dans l’art, des types populaires tels que je ne les vois plus, mais tels qu’ils devraient et pourraient être. Dans l’art, cette substitution du rêve à la réalité est encore possible. Dans la politique, toute poésie est un mensonge auquel la conscience se refuse.