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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

passions des sociétés fausses et injustes. Et, quand beaucoup de nous auraient suivi mon exemple, où eût été le mal ? Tous ces suicides qui ont marqué les années scandaleuses et impies de l’empire romain ne sont-ils pas une protestation qui a son importance et qui a eu son effet ?

Quand les premiers chrétiens se jetèrent dans les thébaïdes, n’était-ce pas une manière de se tuer et de protester contre la corruption et les violences des sociétés ? Et quand ce peuple, qui oublie ses martyrs en prison et dans l’exil, apprendrait que Barbès et autres ont mis fin à des jours intolérables, où serait le mal encore une fois ? Moi, je suis toujours plus frappée des actes de désespoir que des résistances héroïques, et j’ai plus appris à haïr l’injustice en voyant la mort volontaire de certains anciens qu’en lisant les écrits des inébranlables stoïques.

Mais laissons ce morne chapitre, qui ne vous convaincrait pas, puisque vous appréciez tout cela avec un autre sentiment. Ce sentiment est plus puissant que tous les raisonnements du monde. D’ailleurs, je n’aurai pas la force que j’ambitionne, je ne me tuerai pas. Se tuer n’est rien, sans doute ; mais s’endurcir contre les larmes de quelques êtres qui ne vivent que par vous, c’est là ce qui me manquera probablement. Et puis à quoi bon, puisqu’on meurt sans cela ?

Ne vous tourmentez pas et ne vous affligez pas des lettres que je vous écris. Les lettres, surtout les lettres espacées, sont plus sombres que la vie courante, parce