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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

elle repousse les initiateurs, elle les trahit ou les abandonne, elle les calomnie, elle les tuerait au besoin. Elle abhorre le pouvoir, même celui qui vient au nom de l’esprit de progrès. La masse n’est point disciplinée et elle est peu disciplinable. Je vous assure que, si vous viviez en France, — je ne dis pas à Paris, qui ne représente pas toujours l’opinion du pays, mais au cœur de la France, — vous verriez qu’il n’y a rien à faire, sinon de la propagande, et encore, quand on a un nom quelconque, ne faut-il pas la faire directement ; car elle ne rencontrerait que méfiance et dédain chez le prolétaire.

Et, pourtant, le prolétaire fait parfois preuve d’engouement, me direz-vous. Je le sais ; mais son engouement tombe vite et se traduit en paroles plus qu’en actions. Il y a en France une inégalité intellectuelle épouvantable. Les uns en savent trop, les autres pas assez. La masse est à l’état d’enfance, les individualités à l’état de vieillesse pédante et sceptique. Notre révolution a été si facile à faire, elle eût été si facile à conserver, qu’il faut bien que le mal soit profond dans les esprits, et que la cause du mal soit ailleurs que dans les faits.

Tout cela nous conduit à un grand et bel avenir, je n’en doute pas. Le suffrage universel, avec la souffrance du pauvre d’un côté, et la méchanceté du riche de l’autre, nous fera, dans quelques années, un peuple qui votera comme un seul homme. Mais, jusque-là, ce peuple n’aura pas la vertu de procéder, comme