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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Il ira à droite, à gauche ; il glissera dans vos mains. Il brisera devant vous avec un ennemi ; le lendemain matin, vous apprendrez qu’il a passé la nuit à se réconcilier. Rien de plus impressionnable, rien de plus versatile, rien de plus capricieux que lui, vous verrez !

Vous me direz que vous savez tout cela ; vous devez le savoir, puisque vous le voyez, et qu’il y a en lui une certaine naïveté, aimable mais effrayante, qui ne permet pas de douter de sa nature, après un mois ou deux d’examen. Il n’en faut même pas tant à des gens plus clairvoyants et moins optimistes que je ne le suis parfois. Vous me direz donc que cela vous est égal ; que, puisqu’il est l’homme le plus populaire du parti républicain en France, vous l’acceptez comme l’instrument que Dieu place sous votre main. Qui a tort ou raison de vous ou de moi ? Je ne sais ; mais nous avons une disposition tout opposée. Vous n’avez pas besoin d’estimer et d’aimer beaucoup un homme pour l’employer, pour le juger propre à l’œuvre sainte.

Moi, je suis capable d’estimer et d’aimer, comme individu privé, un homme aimable et bon ; je le défendrais comme tel avec chaleur contre ses ennemis, je voudrais lui rendre service, je partagerais ses chagrins. J’ai plusieurs amis dont je ne goûte pas les idées, dont je n’approuve pas la conduite, et que j’aime pourtant et à qui je suis très dévouée, dans tout ce qui est en dehors de l’opinion. Mais, dans l’action générale, c’est autre chose. Si je faisais de la politique, je