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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

eux-mêmes ! combien succombent dans le pèlerinage, et comment ne pas pleurer amèrement sur les mourants qu’on laisse derrière soi ! Notre route est semée de cadavres, et, tandis que l’ennemi fait des cadavres véritables par le fer et le feu, nous sommes environnés de découragements et de désespoirs qui s’asseyent au bord du chemin et refusent d’aller plus loin.

L’état moral de la France, en ce moment, est une retraite de Russie. Les soldats sont pris de vertige et se battent entre eux pour mourir plus vite. Voyez les socialistes divisés, exaspérés, furieux, au moment où toutes les nuances de l’idée démocratique devraient se réunir et se retourner contre l’ennemi commun !

Mais il y a là dedans quelque chose de fatal. Ce ne sont pas seulement les orgueilleux et les intolérants qui ne savent quel nom opposer à celui du prétendant : ce sont les âmes honnêtes et modestes, ce sont les serviteurs les mieux disciplinés de la cause, qui reculent effrayés devant une adhésion à donner au proconsul algérien, au mitrailleur des faubourgs. Lui seul peut nous sauver, dit-on. Sauver notre parti, peut-être ! Encore c’est très douteux, d’après sa conduite récente. Mais le peuple est-il un parti ? Et cet homme a-t-il la moindre intelligence des besoins du peuple, la moindre sympathie pour ses souffrances, la moindre pitié pour ses égarements ?

Si nous lui opposons Ledru-Rollin, quelle garantie nous donne ce caractère impressionnable et capricieux dont on ne saurait dire, depuis le 4 mai, s’il