Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 3.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

deviez pas les aimer du tout, que vous n’en aviez pas le temps ; et qu’avant les femmes il y avait pour vous les hommes, c’est-à-dire l’humanité, qui comprend les deux sexes à un point de vue plus élevé que celui des passions individuelles. Là-dessus, elle s’est animée et m’a parlé de vous comme d’un héros de roman, ce qui me blessait et m’ennuyait énormément. Enfin, une véritable Anglaise, prude sans pudeur ; et c’est aussi un véritable Anglais, car l’esprit n’a pas de sexe, et chaque Anglais se croit le plus bel homme de la plus belle nation qu’il y ait au monde.

Et, pourtant, je sens qu’il faut de l’indulgence avec ces heureux êtres qui trouvent encore, dans les petites satisfactions ou dans les petites illusions de leur amour-propre, un refuge contre le malheur des temps. Nous sommes bien à plaindre, nous qui ne pouvons plus vivre en tant qu’individus et qui sommes dans l’humanité en travail, comme les vagues dans la mer battues de l’orage.

Vous avez revu votre sœur et votre mère, c’est toujours cela de pris ! Je ne vous parle pas de mes chagrins domestiques. Ils sont toujours les mêmes et ne changeront pas. Mon intérieur est du moins tranquille et doux, mon fils toujours bon et calme ; et les deux autres enfants que vous connaissez, laborieux et affectueux autour de moi. Je ne demande rien à Dieu pour moi-même, je ne le prie même pas de me préserver des cuisantes douleurs qui me viennent d’ailleurs. Je lui demande d’ôter aux autres les peines dont je