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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

habitez mon cher lac de Côme, sur les bords duquel j’ai promené jadis mes pas errants et ma mélancolie botanique. Je suis parfois tentée de réaliser mes capitaux comme Robert Macaire et d’aller vous trouver ; mais, là-bas, je ne travaillerais pas, et le galérien est à la chaîne. Si Buloz lui permet de se promener, c’est sur parole, et la parole est le boulet que le forçat traîne au pied. Et puis, si le cœur est chaud, le climat l’est toujours assez ; si l’âme est pure, le ciel l’est aussi. Tout prend au dehors la couleur de l’être intérieur, et la grande poésie serait de transformer la nature en soi, au lieu de chercher à se transformer en elle.

Je tombe dans le Pierre Leroux, et pour cause. Il était ici ces jours derniers. Charlotte et moi faisions le projet romanesque de lui élever ses enfants et de le tirer de la misère à son insu. C’est plus difficile que nous ne pensions. Il a une fierté d’autant plus invincible qu’il ne l’avoue pas et donne à ses résistances toute sorte de prétextes. Je ne sais pas si nous viendrons à bout de lui. Il est toujours le meilleur des hommes, et l’un des plus grands. Il a été voir Béranger à Tours et va revenir ensuite je ne sais pour combien de temps.

Il est très drôle quand il raconte son apparition dans votre salon de la rue Laffitte. Il dit :

— J’étais tout crotté, tout honteux. Je me cachais dans un coin. Cette dame est venue à moi et m’a parlé avec une bonté incroyable. Elle était bien belle !

Alors je lui demande comment vous étiez vêtue, si