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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

espagnole et j’accomplis je ne sais quelle révolution.

De longtemps, Nérac ne verra ses habitants aussi bouleversés, aussi abîmés dans leurs commentaires, aussi dévorés d’inquiétude et de curiosité. Enfin, nous arrivons à Guillery. Mon mari était déjà prévenu ; déjà les apprêts de sa fuite étaient faits. Mais on cerne la maison ; les recors procèdent, et Dudevant, devenu doux et poli, amène Solange par la main jusqu’au seuil de sa royale demeure, après m’avoir offert d’y entrer : ce que je refuse gracieusement. Solange a été mise dans mes mains comme une princesse à la limite des deux États. Nous avons échangé quelques mots agréables, le baron et moi. Il m’a menacé de reprendre son fils par autorité de justice, et nous nous sommes quittés charmés l’un de l’autre. Procès-verbal a été dressé sur le lieu. Revenus à Nérac, nous avons passé la journée à la sous-préfecture, où l’on a été charmant pour nous.

Le lendemain, la fureur m’a prise d’aller revoir les Pyrénées. J’ai renvoyé mon escorte et j’ai été avec Solange jusqu’au Marborée, l’extrême frontière de France. La neige et le brouillard, la pluie et les torrents ne nous ont laissé voir qu’à demi le but de notre voyage, un des sites les plus sauvages qu’il y ait dans le monde. Nous avons fait ce jour-là quinze lieues à cheval, Solange trottant comme un démon, narguant la pluie et riant de tout son cœur, au bord des précipices épouvantables qui bordent la route. Nature d’aigle ! Le quatrième jour, nous étions de retour à