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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

où je suis cachée loin des oisifs et des beaux esprits, en tête à tête avec Maurice.

Je vous ai écrit à Genève, et j’espère que vous y avez reçu ma lettre avant de partir pour Milan. Je vous disais que j’avais bien du chagrin : ma pauvre mère était à l’extrémité. J’ai passé plusieurs jours à Paris pour l’assister à ses derniers moments. Pendant ce temps, j’ai eu une fausse alerte, et j’ai envoyé Mallefille[1] en poste à Nohant pour chercher mon fils, qu’on disait enlevé. Pendant que j’allais le recevoir à Fontainebleau, ma mère a expiré tout doucement et sans la moindre souffrance. Le lendemain matin, je l’ai trouvée raide dans son lit, et j’ai senti en embrassant son cadavre que ce qu’on dit de la force du sang et de la voix de la nature n’est pas un rêve, comme je l’avais souvent cru dans mes jours de mécontentement.

Me voilà revenue à Fontainebleau, écrasée de fatigue et brisée d’un chagrin auquel je ne croyais pas il y a deux mois. Vraiment le cœur est une mine inépuisable de souffrances.

Ma pauvre mère n’est plus ! Elle repose au soleil, sous de belles fleurs où les papillons voltigent sans songer à la mort. J’ai été si frappée de la gaieté de cette tombe, au cimetière Montmartre, par un temps magnifique, que je me suis demandé pourquoi mes larmes y coulaient si abondamment. Vraiment, nous

  1. Félicien Mallefille, auteur dramatique, plus tard consul de France à Lisbonne.