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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

érige en vertu l’ordre public, c’est-à-dire le droit de tuer quiconque demande du pain d’une voix forte et avec l’autorité de la justice naturelle de la faim ; certes, si vous acceptez tout cela, vous raisonnez bien et je n’ai pas le plus petit mot à dire.

Mais, s’il vous reste, du saint-simonisme, au moins la religion du principe fondamental : la loi du partage et de l’égalité, comment pouvez-vous faire ces concessions, même avec de bonnes intentions, à un état de choses odieux ? Et c’est le lendemain des lois exécrables qui enterrent toute liberté, toute dignité humaine pour dix ans, pour vingt ans peut-être, que vous émettez ce beau principe : La France est libre, heureuse, honorable ; il n’y a plus rien à lui souhaiter. Tâchons de penser aux Arabes, et d’en faire un peuple aussi honnête que nous.

Oh non ! laissez-les dans l’abrutissement. Ils ne sont pas coupables d’être esclaves, eux qui n’ont pas le sentiment de la dignité humaine. Mais, nous qui prétendons l’avoir, il est étrange de voir à quelle époque de notre existence politique nous nous en vantons !

Mon ami, je ne vous ferai pas changer d’avis. Quand on se décide à dire et à écrire quelque chose, on y a songé ; on croit avoir bien compris, bien jugé la question ; on est préparé à considérer comme des rêves et des erreurs tout ce qui vient de la partie adverse. Je ne vous dis donc pas mes raisons pour vous convertir ; mais c’est afin que nous nous comprenions,