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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND


CCLXIII

AU MÊME


Nohant, 14 décembre 1847.


Je suis bien en retard avec vous, mon cher enfant, et je ne sais plus à laquelle de vos lettres je commencerai par répondre. Vous me pardonnez ce silence, je le sais, je le vois, puisque vous m’écrivez toujours et que votre tendre affection semble augmenter avec mon mutisme et mon accablement. Vous avez compris, Désirée et vous, vous autres dont l’âme est délicate parce qu’elle est ardente, que je traversais la plus grave et la plus douloureuse phase de ma vie. J’ai bien manqué y succomber, quoique je l’eusse prévue longtemps d’avance. Mais vous savez qu’on n’est pas toujours sous le coup d’une prévision sinistre, quelque évidente qu’elle soit. Il y a des jours, des semaines, des mois entiers même, où l’on vit d’illusions et où l’on se flatte de détourner le coup qui vous menace. Enfin, le malheur le plus probable nous surprend toujours désarmés et imprévoyants. À cette éclosion du malheureux germe qui couvait, sont venues se joindre diverses circonstances accessoires fort amères et tout à fait inattendues. Si bien que j’ai eu l’âme et le corps brisés par le chagrin. Je crois ce chagrin incurable ;