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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

depuis ma dernière lettre, j’ai épuisé tout ce que le calice de la vie a de désespérant. C’est même si amer et si inouï, que je ne puis en parler, du moins je ne puis l’écrire. Cela même me ferait trop de mal. Je vous en dirai quelques mots quand je vous verrai. Mais, si je ne reprends courage et santé jusque-là, vous me trouverez bien vieillie, malade, triste et comme abrutie. Voilà aussi, mon enfant, pourquoi je n’ose pas appeler Désirée avec l’ardeur que j’y aurais mise avant tous mes chagrins. Je crains que cette chère enfant ne me trouve toute différente de ce que vous lui avez dit de moi, et que le spectacle de mon abattement ne la froisse et ne la consterne. J’étais, quand vous m’avez vue, dans un état de sérénité, à la suite de grandes lassitudes. J’espérais du moins, pour la vieillesse où j’entrais, la récompense de grands sacrifices, de beaucoup de travaux, de fatigues et d’une vie entière de dévouement et d’abnégation. Je ne demandais qu’à rendre heureux les objets de mon affection. Eh bien ! j’ai été payée d’ingratitude, et le mal l’a emporté dans une âme dont j’aurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau et du bien. À présent, je lutte contre moi-même pour ne pas me laisser mourir. Je veux accomplir ma tâche jusqu’au bout. Que Dieu m’assiste ! je crois en lui et j’espère !

Nous avons ici un temps affreux, de la pluie par torrents, un ciel sombre et froid depuis huit jours. On ne peut finir les moissons. Cela ne contribue pas peu à me rendre triste. Augustine a beaucoup souffert,