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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

suis l’objet. Remerciez pour moi de sa bienveillance miss Jewsbury, signataire du premier, et laissez-moi vous dire que le vôtre m’a pénétrée d’un sentiment de bonheur. C’est qu’en effet il part de votre cœur.

D’autres hommes éminents ont bien voulu me louer ou me défendre. Leur voix ne partait pas des entrailles comme la vôtre ; car, en général, les hommes d’intelligence ont peu d’entrailles, et je ne me sens point de parenté avec eux. Ma gratitude pour eux n’était donc qu’une forme de politesse obligée, au lieu que, vous, je ne vous remercie pas ; je sens que vous dites ce que vous pensez sur mon compte, parce que vous comprenez les souffrances de mon âme, ses besoins, ses aspirations et la sincérité de mon vouloir. Non, mon ami, je ne vous remercie pas d’un article favorable, comme on dit ; mais je vous remercie de m’aimer, et de m’appeler votre sœur et votre amie. Il y a une fatalité providentielle et comme un instinct de secrète divination dans les cœurs.

Il y a dix ans, j’étais en Suisse ; vous y étiez caché et un hasard m’avait fait découvrir votre retraite. J’étais presque partie un matin, pour vous aller trouver. J’étais encore dans l’âge des tempêtes. Je revins sur mes pas, en me disant que vous aviez assez de votre fardeau à porter, et que vous n’aviez pas besoin d’une âme agitée comme la mienne. Je comptais bien que, plus tard, nous nous rencontrerions si je résistais à la tentation du suicide qui me poursuivait sur ces glaciers. Le vertige de Manfred est si profondément hu-