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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Je vous remercie, madame, de l’envoi de vos deux volumes ; je n’ai encore lu qu’Ange de Spola, et je vous en dirai mon avis avec la même sincérité, puisque vous l’avez provoqué de bonne foi. Ce n’est point un roman ordinaire, et, sur les cinq cents ou six cents romans de femme que j’ai feuilletés depuis dix ans, c’est un des trois ou quatre que j’ai pu lire en entier. Au fait, ce n’est point un roman ; vous-même l’avez qualifié d’étude. Il manque essentiellement des qualités qui font un roman animé. Mais il a toutes celles d’une étude bien faite. C’est une énigme qui se dévoile peu à peu, et dont le mot n’est pas assez proclamé. Votre Ange cherche la grandeur et la vertu, et vous montrez, avec beaucoup d’élévation, que, sans grandeur et sans idéal, il n’y a pas d’amour possible pour une âme élevée. Seulement les ténèbres qui remplissent la vie douloureuse de cet Ange, vous ne les dissipez que faiblement.

On voit bien que, dans ce pauvre et mesquin petit milieu du grand monde où vous avez enfermé son existence, l’Ange a dû mourir de froid et d’ennui, sans avoir vu clair un seul jour. Mais vous, l’auteur, vous qui jugez et racontez, vous deviez nous dire mieux ce qui lui a tant manqué. Vous nous l’eussiez dit en nous montrant dans Georges de Savenay un véritable homme ; mais nous l’avons à peine connu. Il est brave et compatissant, il est bel esprit et homme de lettres. Mais quoi encore ? quels sont ces grandes idées, ces nobles sentiments, que vous nous dites qu’il possède,