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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

rien ; j’attends avec impatience qu’il ne me reste pas un cheveu noir sur la tête. Alors, j’en suis sûre, je n’aurai plus un sentiment injuste dans le cœur ; je verrai les hommes non méchants, mais ignorants et faibles, en réalité, comme je les aperçois déjà par la théorie. Et vous aussi, vous les verrez tels, et tout ce qui vous paraît absurde dans mon optimisme, vous l’aurez trouvé vous-même, et reconnu vrai.

Votre jeunesse furibonde et hautaine me rappelle la mienne, et vous ne pouvez inventer aucun blasphème nouveau pour moi. Si je vous racontais jusqu’où j’ai poussé la haine de toute chose et l’horreur de la vie, j’aurais l’air de vous faire des romans.

J’avais un ami, un vrai Pylade qui m’a surnommé son Oreste, pour m’avoir vue aux prises avec les Euménides, et pourtant je n’avais tué ni père ni mère. Il avait bien raison de ne me pas prendre au sérieux ; car je me rêvais aussi méchante que les autres hommes, horriblement méchants à mes yeux. Il avait coutume de me dire : « Tu es malade, bien malade ! » C’est peut-être à force de m’entendre répéter ce mot, qu’il m’est venu sur les lèvres, en vous voyant dans vos accès. Je n’y ai pas mis plus d’insolence que ne le faisait mon pauvre Pylade, le plus calme et le plus patient des hommes ! Vous me direz que je n’ai pas l’honneur d’être votre Pylade. Je voudrais pouvoir être celui de tous les hommes qui souffrent et leur faire le bien que mon ami m’a fait.

Vous direz encore que cette amitié universelle est