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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

but, une idée, ou s’ils étaient mus par le hasard.

Il est certain que pas même les animaux les plus stupides, pas même les polypes n’ont d’action sans but. Comment l’homme aurait-il une action quelconque sans une volonté, et une volonté sans une pensée, et une pensée sans un sentiment, et un sentiment sans une réflexion, et, par conséquent, une action sans le jeu de toutes ses facultés ? Plus tu te poseras en homme d’action, plus tu affirmeras que la réflexion occupe en toi une grande part d’existence ; à moins que tu ne fusses fou, ou le séide d’un parti qui dicte sans expliquer et qui commande sans convaincre. Non, cela n’est point : aucun parti, à l’heure où nous vivons, n’a de tels séides, et tu es l’homme le moins séide que je connaisse.

Agis donc comme tu voudras dans la sphère d’activité présente où t’entraîne ce qu’on appelle l’opinion républicaine. Tu n’y feras pas un pas qui ne soit accompagné chez toi de doute et d’examen. Ainsi ne crains pas de lire de la philosophie. Tu verras qu’elle abrège singulièrement les irrésolutions. Quand elle est bonne et qu’elle pénètre, elle devient comme la table de Pythagore apprise par cœur. On n’a plus à supputer sur ses doigts ; les lents calculs de l’expérience deviennent inutiles à répéter. Ils sont acquis à la mémoire, à l’ordre du cerveau, à la faculté de conclure. Il n’y a pas un seul homme tant soit peu complet et fort, et capable de prendre vite et bien un parti, de dominer un instant son individualité, là où il n’y a pas,