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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

salaire, à faire la cuisine et le ménage, commençait à refuser le service comme trop pénible. Le moment arrivait où, après avoir fait le coup de balai et le pot-au-feu, j’allais aussi tomber de fatigue ; car, outre mon travail de précepteur, outre mon travail littéraire, outre les soins continuels qu’exigeait l’état de mon malade, et l’inquiétude mortelle qu’il me causait, j’étais couverte de rhumatismes.

Dans ce pays-là, on ne connaît pas l’usage des cheminées ; nous avions réussi, moyennant un prix exorbitant, à nous faire faire un poêle grotesque, espèce de chaudron en fer, qui nous portait à la tête, et nous desséchait la poitrine. Malgré cela, l’humidité de la chartreuse était telle, que nos habits moisissaient sur nous. Chopin empirait toujours, et, malgré toutes les offres de services que l’on nous faisait à la manière espagnole, nous n’eussions pas trouvé une maison hospitalière dans toute l’île. Enfin nous résolûmes de partir à tout prix, quoique Chopin n’eût pas la force de se traîner. Nous demandâmes un seul, un premier, un dernier service ! une voiture pour le transporter à Palma, où nous voulions nous embarquer. Ce service nous fut refusé, quoique nos amis eussent tous équipage et fortune à l’avenant. Il nous fallut faire trois lieues dans des chemins perdus en birlocho, c’est-à-dire en brouette !

En arrivant à Palma, Chopin eut un crachement de sang épouvantable ; nous nous embarquâmes le lendemain sur l’unique bateau à vapeur de l’île, qui sert