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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Nous habitons la chartreuse de Valdemosa, endroit vraiment sublime, et que j’ai à peine le temps d’admirer, tant j’ai d’occupations avec mes enfants, leurs leçons, et mon travail.

Il fait ici des pluies dont on n’a pas idée ailleurs : c’est un déluge effroyable ! l’air en est si relâché, si mou, qu’on ne peut se traîner ; on est réellement malade. Heureusement Maurice se porte à ravir ; son tempérament ne craint que la gelée, chose inconnue ici. Mais le petit Chopin est bien accablé et tousse toujours beaucoup. J’attends pour lui avec impatience le retour du beau temps, qui ne peut tarder. Son piano est enfin arrivé à Palma ; mais il est dans les griffes de la Douane, qui demande cinq à six cents francs de droits d’entrée et qui se montre intraitable.

Ah ! comme Marliani connaissait peu l’Espagne quand il me disait que les douanes n’étaient rien ! Elles sont exécrables, au contraire. Pour connaître l’Espagne, il faudrait y aller tous les matins. Ce qu’on y voyait hier n’est pas ce qu’on y voit aujourd’hui, et Dieu sait ce qu’on y verra demain ! Je vous avoue que je ne me faisais pas une idée de cette désorganisation de l’esprit humain ; c’est un spectacle vraiment affligeant.

Heureusement, comme je vous le dis, chère, je n’ai pas le temps d’y penser : je suis plongée avec Maurice dans Thucydide et compagnie ; avec Solange, dans le régime indirect et l’accord du participe. Chopin joue d’un pauvre piano mayorquin qui me rappelle celui de Bouffé dans Pauvre Jacques. Ma nuit se passe, comme