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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

ont fait naître la méfiance et la haine. Les âmes vouées aux plus nobles principes sont souvent les plus rudes et les plus âcres, parce qu’elles sont devenues malades à force de déceptions. On les estime, on les admire encore, mais on ne peut plus les aimer. Avoir été malheureux, sans cesser d’être intelligent et bon, fait supposer une organisation bien puissante, et ce sont celles-là que je cherche et que j’embrasse.

J’ai des grands hommes plein le dos (passez-moi l’expression). Je voudrais les voir tous dans Plutarque. Là, ils ne me font pas souffrir du côté humain. Qu’on les taille en marbre, qu’on les coule en bronze, et qu’on n’en parle plus. Tant qu’ils vivent, ils sont méchants, persécutants, fantasques, despotiques, amers, soupçonneux. Ils confondent dans le même mépris orgueilleux les boucs et les brebis. Ils sont pires à leurs amis qu’à leurs ennemis. Dieu nous en garde ! Restez bonne, bête même si vous voulez. Franz pourra vous dire que je ne trouve jamais les gens que j’aime assez niais à mon gré. Que de fois je lui ai reproché d’avoir trop d’esprit ! Heureusement que ce trop n’est pas grand’chose, et que je puis l’aimer beaucoup.

Adieu, chère ; écrivez-moi. Puissiez-vous ne pas partir ! Il fait trop chaud. Soyez sûre que vous souffrirez. On ne peut pas voyager la nuit en Italie. Si vous passez le Simplon (qui est bien la plus belle chose de l’univers), il faudra aller à pied pour bien voir, pour grimper. Vous mourrez à la peine !