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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Je voudrais bien que l’on s’entendît. Tout l’espoir de l’intelligence vertueuse est là. Lamennais ne peut marcher seul.

Si, abdiquant le rôle de prophète et de poète apocalyptique, il se jette dans l’action progressive, il faut qu’il ait une armée. Le plus grand général du monde ne fait rien sans soldats. Mais il faut des soldats éprouvés et croyants. Il trouvera facilement à diriger une populace d’écrivassiers sans conviction qui se serviront de lui comme d’un drapeau et qui le renieront ou le trahiront à la première occasion. S’il veut être secondé véritablement, qu’il se méfie des gens qui ne disputeront pas avec lui avant d’accepter sa direction. En réfléchissant aux conséquences d’un tel engagement, je vous avoue que je suis moi-même très indécise. Je m’entendrais aisément avec lui sur tout ce qui n’est pas le dogme. Mais, là, je réclamerais une certaine liberté de conscience, et il ne me l’accorderait pas. S’il quitte Paris sans s’être entendu avec deux ou trois personnes qui sont dans les mêmes proportions de dévouement et de résistance que moi, j’éprouverai une grande consternation de cœur et d’esprit. Les éléments de lumière et d’éducation des peuples s’en iront encore épars, flottant sur une mer capricieuse, échouant sur tous les rivages, s’y brisant avec douleur, sans avoir pu rien produire. Le seul pilote qui eût pu les rassembler leur aura retiré son appui et les laissera plus tristes, plus désunis et plus découragés que jamais.