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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Il déshonore réellement la France qui le supporte. C’est un grand malheur de voir qu’un seul homme peut, en caressant les vices et les mauvais sentiments, dégrader toute une nation et l’entraîner dans le mal.

Tu raisonnes très bien d’ailleurs, seulement tu fais encore une erreur en disant : « La nature a été injuste envers une grande partie du genre humain ; » tu veux dire la société.

La nature, mon pauvre enfant, est une bonne mère ; c’est Dieu, ou du moins c’est son ouvrage ; c’est elle qui nous donne les moissons, les forêts, les fruits, les prairies, ces belles fleurs que j’aime tant, et ces beaux papillons que tu soignes si bien. La nature offre d’elle-même toutes ses productions à l’homme qui sème et recueille. Les arbres ne refusent pas leurs fruits au voyageur qui les cueille en passant, et les légumes viennent aussi beaux dans le terreau d’un simple jardinier que dans le jardin d’un prince.

La société, c’est autre chose : ce sont les conventions faites entre les hommes pour le partage des productions de la nature. Ce n’est pas la justice, ce n’est pas le sentiment de la nature qui a dicté ces lois, c’est la force. Les faibles ont eu moins que les autres, et les infirmes n’ont rien eu du tout. Le droit d’héritage a conservé cette inégalité ; et puis, dans les temps civilisés, comme le nôtre par exemple, les plus instruits et les plus habiles sont devenus riches et n’en sont pas devenus meilleurs pour cela. Les pauvres ignorants sont et seront toujours dans une affreuse mi-