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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND
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CXX

À M. FRANÇOIS ROLLINAT, À CHÂTEAUROUX


Nohant, 20 septembre 1834.


Je voulais t’écrire une longue lettre tout de suite après ton départ ; mais je n’ai trouvé aucun argument à te donner en faveur de mes idées. Il ne s’agit là que d’un sentiment, que d’un instinct d’héroïsme qui est exceptionnel tout à fait, et dont je n’oserais parler sérieusement avec plus de trois personnes à ma connaissance.

Je n’ai jamais eu pour toi ni amour moral, ni amour physique ; mais, dès le jour où je t’ai connu, j’ai senti une de ces sympathies rares, profondes et invincibles que rien ne peut altérer ; car plus on s’approfondit, plus on se connaît identique à l’être qui l’inspire et la partage. Je ne t’ai pas trouvé supérieur à moi par nature ; sans cela, j’aurais conçu pour toi cet enthousiasme qui conduit à l’amour. Mais je t’ai senti mon égal, mon semblable, mio compare, comme on dit à Venise.

Tu valais mieux que moi, parce que tu étais plus jeune, parce que tu avais moins vécu dans la tourmente, parce que Dieu t’avait mis d’emblée dans une voie plus belle et mieux tracée. Mais tu étais sorti de