Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 1.djvu/285

Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND


CXIX

À M. JULES NÉRAUD, À LA CHÂTRE


Nohant, 10 septembre 1834.


Mon pauvre ami,

Tu avais entrepris de me conseiller, de me prouver que la vie est supportable : ton destin et le mien se chargent de la réponse aux questions inquiètes que je t’adressais. Voilà ta vie ! voilà le bonheur qu’on obtient à force de privations, de résignation et d’efforts courageux. Tu n’en es que plus admirable, mon ami, de te soumettre à de tels ennuis.

Parle-moi de vertu, d’héroïsme une autre fois, et non de raison ni d’espoir de guérison. Tu souffres, tu vis, c’est bien. Mais, moi, je n’ai pas tant de vertu. Tous les espoirs m’abandonnent, tous mes sujets de consolation tombent dans l’abîme, ou tremblent battus des vents sur le bord, près d’y tomber à leur tour.

Je ne veux pas t’entretenir de ma tristesse : tu es triste toi-même, et tes chagrins maintenant m’occupent plus que les miens. C’est donc à mon tour de te consoler et de t’encourager. Je ne l’aurais pas cru ! Mais pourquoi pas, au reste ? J’ai fini pour mon compte, je m’en vais, je n’ai besoin de rien. Toi, tu restes ici-bas.