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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

vie agitée. Mon destin me pousse d’un côté et de l’autre, mais mon cœur ne répudie pas le passé. Il souffre et se calme selon le temps qu’il fait. Les vieux souvenirs ont une puissance que nul ne peut méconnaître, et moi moins qu’un autre. Il m’est doux, au contraire, de les ressaisir, et nous nous retrouverons bientôt ensemble, dans notre vieux nid de Nohant, où je n’ai pas pu vivre, mais où je pourrai, peut-être plus tard, mourir en paix.

Dire que l’on aura une vie uniforme, sans nuages et sans reproches, c’est promettre un été sans pluie ; mais, quand le cœur est bon, l’on se retrouve et l’on se souvient de s’être aimés. Il m’a semblé plusieurs fois que j’avais à me plaindre beaucoup de toi. J’ai pris définitivement le parti de ne plus m’en fâcher. Je savais bien que j’en reviendrais et que je ne pourrais pas rester en colère contre toi, que tu eusses tort ou non. Et ainsi de tout dans ma vie. Je réponds aux bons procédés, j’oublie les mauvais ; je me console des maux et je sais jouir des biens qui m’arrivent. J’ai la philosophie du soldat en campagne.

Nous sommes bien frères sous ce rapport ; mais, toi, tu agis ainsi, par indifférence ; tu te consoles sans avoir souffert. Tant mieux, ton organisation est la meilleure.

Adieu, mon vieux ; écris-moi donc, cela me fera beaucoup de bien. Je ne te dis rien de ma manière de vivre à Venise. Tu pourras lire beaucoup de détails sur ce pays, dans la Revue des Deux Mondes, numéros du