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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

les a-t-on pas noircis ! Quelles amertumes ne sont pas venues empoisonner votre brillante destinée ! Une mère indulgente et tendre qui vous eût ouvert ses bras à chaque nouveau chagrin et qui vous eût dit : « Laisse les hommes te condamner ; moi, je t’absous ! laisse-les te maudire ; moi, je te bénis ! » Que de bien elle vous eût fait ! quelle consolation elle eût répandue sur les dégoûts et les petitesses de la vie !

On vous a dit que je portais culotte, on vous a bien trompée ; si vous passiez vingt-quatre heures ici, vous verriez bien que non. En revanche, je ne veux point qu’un mari porte mes jupes. Chacun son vêtement, chacun sa liberté. J’ai des défauts, mon mari en a aussi, et, si je vous disais que notre ménage est le modèle des ménages, qu’il n’y a jamais eu un nuage entre nous, vous ne le croiriez pas. Il y a dans ma position comme dans celle de tout le monde, du bon et du mauvais. Le fait est que mon mari fait tout ce qu’il veut ; qu’il a des maîtresses ou n’en a pas, suivant son appétit ; qu’il boit du vin muscat ou de l’eau claire selon sa soif ; qu’il entasse ou dépense, selon son goût ; qu’il bâtit, plante, change, achète, gouverne son bien et sa maison comme il l’entend. Je n’y suis pour rien.

Je trouve tout fort bon, parce que je sais qu’il a de l’ordre, qu’il est plutôt économe que prodigue, qu’il aime ses enfants et qu’il ne songe qu’à eux dans tous ses projets. Je n’ai pour lui, vous le voyez, que de l’estime et de la confiance, et, depuis que je lui ai entièrement abandonné l’autorité des biens, je ne crois pas