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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

chez vous, l’ennui se cramponne, du moins je crois le voir à quelques phrases de votre lettre. Cela ne me surprend point : l’air du pays n’est pas léger, la société n’est pas délicate, les cancans ne sont pas spirituels et les plaisirs ne sont pas du tout. On vit en tous lieux, je le sais, mais avec des intérêts, un ménage, une occupation personnelle, des projets et des profits. À votre âge, on n’a rien de tout cela, et au mien… que vous dirai-je ? cela ne suffit pas encore. Un peu de patience ! quand nous aurons quarante ans, nous serons les meilleurs Berrichons du monde.

En attendant, il faut bien varier un peu la vie. Au lieu de vous faire des sermons, je vous engagerai à venir à Paris le plus que vous pourrez. Je sais que les parents ne lâchent guère leurs enfants ; mais vous qu’on aime et qu’on gâte passablement, si vous montriez un désir bien prononcé, vous ne trouveriez pas de résistance. Si l’on voulait m’écouter, je parlerais bien pour vous, tant je suis pénétrée de l’impossibilité de vivre heureux à la Châtre quand on n’est ni vieux, ni père de famille, ni raisonnable par force.

Je ne suis pas de ceux qui disent : Vivre, c’est s’amuser, ou plutôt je ne l’entends pas comme eux. Ce n’est pas l’Opéra qu’il vous faut tous les jours pour passer agréablement la soirée. L’Opéra est chose délicieuse, mais on peut rire ailleurs et de tout son cœur. Odry même, le sublime Odry, n’est pas indispensable à ma félicité, quoiqu’il y contribue puissamment. Je m’amuse partout. — Partout (entendons-