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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Enfants gâtés des Muses, nourris sur l’Olympe (pas d’allusions, je vous prie), bercés sur les genoux de la Renommée, puissiez-vous faire, pendant toute une éternité (comme dit le forçat délibéré Champagnette de Lille), la gloire et l’ornement de la patrie reconnaissante ! Puissiez-vous m’écrire souvent pour m’endormir… au son de votre lyre pindarique, et pour détendre les muscles buccinateurs, infiniment trop contractés, de mes joues amaigries !

Depuis ton départ, — ô blond Charles, jeune homme aux rêveries mélancoliques, au caractère sombre comme un jour d’orage, infortuné misanthrope qui fuis la frivole gaieté d’une jeunesse insensée, pour te livrer aux noires méditations d’un cerveau ascétique, les arbres ont jauni, ils se sont dépouillés de leur brillante parure. Ils ne voulaient plus charmer les yeux de personne. L’hôte solitaire des forêts désertes, le promeneur mélancolique des sentiers écartés et ombreux n’étant plus là pour les chanter, ils sont devenus secs comme des fagots et tristes comme la nature, veuve de toi, ô jeune homme !

Et toi, gigantesque Fleury, homme aux pattes immenses, à la barbe effrayante, au regard terrible ; homme des premiers siècles, des siècles de fer ; homme au cœur de pierre, homme fossile, homme primitif, homme normal, homme antérieur à la civilisation, antérieur au déluge ! depuis que ta masse immense n’occupe plus, comme les dieux d’Homère, l’espace de sept stades dans la contrée, depuis que ta