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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

avons besoin de cela pour coopérer aussi de tous nos faibles moyens au grand œuvre de la rénovation. Ah Dieu ! l’emporterons nous ? Le sang de toutes ces victimes profitera-t-il à leurs femmes et à leurs enfants !

Votre lettre a été lue par toute la ville ; car on est avide de détails et chacun fournit son contingent ; écrivez donc, songez qu’on s’arrachera les nouvelles et ne me parlez que des affaires publiques. Mon pauvre enfant, en dépit de la fusillade et des barricades, vous avez réussi à m’informer de ce qui se passait. Croyez-le bien, parmi tous ceux pour qui je frémis, vous n’êtes pas un de ceux qui m’intéressent le moins. Ne vous exposez pas, à moins que ce ne soit pour sauver un ami ; alors je vous dirais ce que je dirais à mon propre fils : « Faites-vous tuer plutôt que de l’abandonner. » Au nom du ciel, si vous pouvez circuler sans danger, informez-vous du sort de ceux qui me sont chers.

Les Saint-Agnan n’ont-ils pas souffert ? Le père était de la garde nationale. On en est à se dire : « Un tel est-il mort ? » Il y a trois jours, la mort d’un ami nous eût glacés ; aujourd’hui, nous en apprendrons vingt dans un seul jour peut-être, et nous ne pourrons les pleurer. Dans de tels moments, la fièvre est dans le sang, et le cœur est trop oppressé pour se livrer à la sensibilité.

Je me sens une énergie que je ne croyais pas avoir. L’âme se développe avec les événements. On me prédirait que j’aurai demain la tête cassée, je dormirais quand même cette nuit ; mais on saigne pour les au-