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pour jouir de ma propriété et recueillir le fruit de mon labeur.

Le soleil se couchait dans une gloire de rayons d’or et de nuages pourpres, c’était comme un grand œil divin qui me regardait et me souriait. Les neiges du pic brillaient comme des diamants, la cascade chantait comme un chœur de nymphes ; un petit vent courbait les fleurs, qui semblaient baiser ma terre avec tendresse. Du monstre qui m’avait tant ennuyé, il n’était plus question ; il était pour jamais réduit au silence. Il n’avait plus forme de géant. Déjà en partie couvert de verdure, de mousse et de clématites qui avaient grimpé sur la partie où j’avais cessé de passer, il n’était plus laid ; bientôt on ne le verrait plus du tout.

Je me sentais si heureux que je voulus lui pardonner, et, me tournant vers lui : — À présent, lui dis-je, tu dormiras tous tes jours et toutes tes nuits sans que je te dérange. Le mauvais esprit qui était en toi est vaincu, je lui défends de revenir. Je t’en ai délivré en te forçant à devenir utile à quelque chose ; que la foudre t’épargne et que la neige te soit légère !

Il me sembla entendre passer, le long de l’escarpement, comme un grand soupir de résignation qui se perdit dans les hauteurs. Ce fut la dernière fois que je l’entendis, et je ne l’ai jamais revu autre qu’il n’est maintenant.

Dès le matin, je préparai la petite fête que je voulais donner ; j’allai inviter le père Bradat, qui avait toujours été un bon voisin, un brave ami pour moi, à se rendre chez moi vers midi avec tous ses gars