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être retournée bien des fois en rêve. Je ne voulus pas me trop obstiner, espérant que peut-être avec le temps je la persuaderais. Je lui promis d’utiliser l’hiver, car je devais quitter les hauteurs très-prochainement, et je lui tins parole. Ma saison finie dans les pierres, je fis présent au père Bradât d’une bonne capuche de laine de Baréges, et à ses gars de divers petits objets achetés à leur intention. Nous nous quittâmes bons amis, avec promesse de nous retrouver l’année suivante, et je m’en allai chercher fortune du côté de Lourdes, dans les carrières et sur les routes. J’avais toujours mon idée, je voulais apprendre à combattre le rocher et à m’en rendre maître le plus vite et le plus adroitement possible. On ne me faisait faire qu’un métier de manœuvre, mais, tout en le faisant, je regardais le travail des ingénieurs et je m’efforcerais de me rendre compte de tout. Je gagnais bien peu de chose au delà de ma nourriture et de mon entretien. Ce surplus, je l’employais à prendre des leçons de calcul, car, pour la lecture, je m’en tirais déjà tout seul avec lenteur et patience ; quant à l’écriture, je m’en faisais une moi-même en copiant. J’employais à tout cela une ou deux heures le soir et presque tout mon dimanche. On me regardait comme un grand bon sujet, raisonnable comme pas un de mon âge ; au fond, j’étais un entêté, rien de plus.

Aussitôt que le printemps eut fondu les neiges, je quittai tout pour courir voir ma mère et acheter une brouette, un pic, de la poudre, une tarière, une masse, tout ce qu’il me fallait enfin pour attaquer