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larves, et je la portai à quelque distance. Je regardai les adroites fourmis qui, après m’avoir suivi, retournaient sans se tromper faire le reste de leur déménagement. Elles s’avertissaient, elles se parlaient certainement, elles s’entr’aidaient. Personne ne paraissait consterné ni découragé. — Petites fourmis, leur dis-je, vous me donnez là une grosse leçon ! Dût mon travail s’écrouler sur moi, je ne l’abandonnerai pas.

Mais j’étais tous seul, moi, et toutes mes idées se portèrent à la résolution d’avoir de l’aide. Je n’avais pas encore donné de mes nouvelles à ma mère, bien que je fusse fort près d’elle. J’avais craint avec raison qu’elle ne me blâmât de perdre mon temps à caresser des chimères au lieu de chercher une place. Je commençai à me tourmenter de l’inquiétude qu’elle devait avoir, et j’allai la trouver.

Elle était inquiète en effet, et me gronda quand elle apprit que je n’avais rien gagné encore ; mais, quand elle sut que j’avais presque appris à lire et que je n’avais presque rien dépensé, elle se calma, forcée de reconnaître que je n’avais point fait le vagabond. Alors je lui ouvris mon cœur, je lui racontai l’emploi de mon temps et lui confiai mes espérances. Elle fut très-surprise et très-émue, mais très-effrayée aussi. Elle me parla comme m’avait parlé le père Bradat et me supplia de ne point risquer mon avoir dans une entreprise si déraisonnable. Pourtant je gagnai ceci sur elle, qu’elle me laissa voir son attachement pour ce coin de terre où elle avait été plus heureuse qu’ailleurs et où elle m’avoua