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homme à moitié mort dans ce désert où il ne nous restait pas un abri, pas un pouce de terre qui ne fût couvert de débris, pas un meuble qui ne fût brisé ?

Maguelonne ne perdit pas la tête ; elle me montra les cabanes de la rencluse, c’est-à-dire de l’étage de terre végétale qui est au-dessous de nous, et se mit à courir comme un chamois de ce côté-là. Je compris qu’elle allait chercher du secours et je commençai à rassembler des morceaux de bois pour faire un brancard. Quand les habitants des cabanes d’en bas accoururent, ils n’eurent qu’à les lier ensemble, et mon père fut transporté chez eux aussi vite que possible. Le médecin fut appelé, et mon père fut bien soigné ; mais il avait fallu du temps pour avoir ces secours : l’enflure avait fait des progrès, le bras fut très-mal remis, et la jambe avait été si déchirée qu’il fallut la couper. Voilà comment ce brave homme tomba dans la misère et dut abandonner le travail, acheter un âne et mendier sur les chemins avec sa famille. Nous avions bien, au bas de la vallée, non loin de Pierrefitte, une petite maison d’hiver ; mais le plus clair de notre revenu, c’était nos vaches, et nous n’avions plus de quoi les nourrir. Il fallut vendre les deux qui nous restaient : les trois autres, épouvantées par la chute du géant, s’étaient tuées et perdues dans les précipices.

Ma mère répugnait beaucoup à la mendicité. Elle eût voulu chercher quelque travail à la ville et garder mon père au coin du feu ; mais il ne pouvait souffrir l’idée de rester tranquille, et il regardait l’exhibition de son malheur comme un travail