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Ce fut inutile ; soit que Tire-à-gauche n’entendit pas, soit que la marée en se retirant remportât malgré lui, il fit un suprême effort pour tendre ses longs bras à Clopinet, et lâcha prise ; en un clin d’œil, il fut entraîné par la vague qui tourbillonnait autour du rocher et disparut. Clopinet, debout sur celui où il s’était arrêté pour reprendre haleine, resta un moment indécis et comme glacé par l’effroi de la mort. On pense vite dans ces moments-là ; il comprit que le tailleur éperdu allait, s’il lui portait secours, se cramponner, s’enlacer à lui comme une véritable pieuvre et l’entraîner au fond en l’empêchant de nager. Mourir comme cela tout d’un coup, d’une mort affreuse, lui si jeune et si curieux de la vie, pour avoir voulu porter un secours inutile à un être aussi sournois, aussi méchant et aussi laid que ce tailleur, c’était de la folie. Clopinet hésita un instant, — un instant bien court, car il se fit dans ses oreilles un bruit mélodieux qu’il reconnut aussitôt ; c’était le chant énergique et tendre de ses petits amis les esprits ailés de la mer, et ces voix caressantes lui disaient : — Tes ailes, ouvre tes ailes I nous sommes là !

Clopinet sentit ses ailes de courage s’ouvrir toutes grandes, grandes comme celles d’un aigle de mer, et il sauta dans la vague furieuse. Il ne sut jamais comment il avait pu ressaisir le tailleur au milieu de l’écume qui l’aveuglait, lutter avec lui, vaincre avec une force surnaturelle la lame énorme qui l’emmenait au large, enfin revenir à la Grosse-Vache et y tomber épuisé sur le corps du naufragé évanoui.