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et ne voulurent point approcher du pain qu’il leur montrait. Pourtant c’était encore pour eux un régal, et sitôt qu’il s’éloignait un peu, ils se jetaient sur les miettes qu’il avait semées et se les disputaient avec de grands cris. Il ne désespéra pas de les apprivoiser de nouveau pendant le peu de temps qu’il passerait dans la falaise, car il souhaitait d’y rester tout le temps de son congé, sans trop savoir pourquoi il s’y plaisait tant.

Il est certain que, quand on est jeune, on se laisse aller à son caractère, sans bien s’en rendre compte. Clopinet n’était pourtant pas le même enfant qui avait mené six mois cette vie de sauvage ; il était maintenant relativement très-instruit, il savait le pourquoi des choses qui lui avaient plu autrefois. Il avait aimé la mer, les rochers, les oiseaux, les fleurs et les nuages avant de savoir en quoi ces choses sont belles. L’étude et la comparaison lui avaient appris ce que c’est que le beau, le terrible et le gracieux. Il en jouissait donc doublement, et il eût pu se savoir quelque gré d’avoir aimé la nature avant de la comprendre ; mais il était modeste comme tous ceux qui vivent de contemplation et d’admiration : c’est la nature qu’il remerciait d’avoir bien voulu se révéler à lui sans le secours de personne.

Comme si cette puissante dame nature eût voulu lui faire fête en lui donnant le spectacle dont elle l’avait régalé trois ans auparavant, le premier soir de son installation dans la falaise, il y eut au coucher du soleil un grand entassement de nuages noirs bordés de feu rouge, et la mer fut toute phosphorescente.