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clair ; il en profita pour rentrer dans sa grotte, car son jardin sauvage n’était pas uni et facile à parcourir. Il n’avait pas sommeil, il s’ennuya de ne rien voir et devint triste ; il espéra que les petits esprits viendraient lui tenir compagnie : il n’entendit que le mugissement de l’orage qui montait et couvrait celui de la mer. Alors il s’endormit, mais d’un sommeil léger et interrompu souvent.

Il n’avait jamais rêvé, tant il avait l’habitude de bien dormir, ou, s’il avait rêvé, il ne s’en était jamais rendu compte en s’éveillant. Cette nuit-là, il rêva beaucoup ; il se voyait encore une fois perdu dans les dunes sans pouvoir en sortir, et puis il se trouvait tout-à-coup transporté dans son pays, dans sa maison, et il entendait son père qui comptait de l’argent en répétant sans cesse le même nombre, dix-huit, dix-huit, dix-huit. — C’était dix-huit livres qui avaient été promises au tailleur pour la première année d’apprentissage, et le tailleur en voulait vingt. Le père Doucy s’était obstiné, et il avait répété « dix-huit » jusqu’à ce que la chose fût acceptée. — Clopinet crut alors sentir la terrible main crochue du tailleur, qui s’abattait sur lui. Il fit un grand cri et s’éveilla. — Où était-il ? Il faisait noir dans sa grotte comme dans un four. Il se souvint et se rassura ; mais tout aussitôt il ne sut que penser, car il entendit bien distinctement, et cette fois bien éveillé, une voix qui parlait à deux pas de lui et qui répétait dix-huit, dix-huit, dix-huit.

Clopinet en eut une sueur froide sur tout le corps ; ce n’était pas la voix forte et franche de son père,