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vait pas si les loups ne viendraient pas le manger.

Il se jeta tout découragé sur une mousse épaisse qu’il rencontra et essaya de s’endormir pour tromper la faim ; mais il rêva qu’il glissait, et quelque chose qui passa sur lui en courant, peut-être un renard, peut-être un lièvre, lui fit une telle peur qu’il s’enfuit, sans savoir où, au risque de tomber dans une fente et de s’y noyer. Il n’avait plus sa raison et ne reconnaissait plus les choses qu’il avait vues au jour. Il allait d’un creux à l’autre, s’imaginant qu’au lieu de courir il volait au-dessus de la terre. Il rencontrait ces grandes crêtes de la dune qui l’avaient étonné, et il les prenait pour des géants qui le regardaient en branlant la tête. Chaque buisson noir lui paraissait une bête accroupie, prête à s’élancer sur lui. Il lui venait aussi des idées folles et des souvenirs de choses qu’il avait oubliées. Une fois son oncle le marin avait dit devant lui : « Quand on s’est donné aux esprits de la mer, les esprits de la terre ne veulent plus de vous. » Et cette parole symbolique lui revenait comme une menace. — J’ai trop pensé à la mer, se disait-il, et voilà que la terre me renvoie et me déteste ; elle se déchire et se fend de tous les côtés sous mes pieds, elle se dresse en pointes qui ne tiennent à rien et qui veulent m’écraser. Je suis perdu, je ne sais pas où est la mer, qui peut-être serait meilleure pour moi ; je ne sais pas de quel côté est mon pays et si je retrouverai jamais ma maison. Peut-être que la terre s’est aussi fâchée contre mes parents et qu’ils n’existent plus !