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Elle la soigna si bien qu’elle manqua bien des fois de la faire mourir. Elle l’aimait trop, elle la caressait sans cesse, elle la portait dans ses bras, elle la faisait dormir sur ses genoux. Les petits chiens et les petits chats aiment beaucoup qu’on s’occupe d’eux et se laissent dorloter ; mais les moutons, quand on les a bien fait manger, aiment mieux qu’on les laisse tranquilles, dormir quand ils veulent, marcher ou se coucher où il leur plaît. Sylvaine disait à sa fille qu’au lieu de faire grandir Bichette, elle l’en empêchait en la maniant trop ; mais Catherine ne souhaitait point que Bichette grandît, elle l’eût souhaitée plus petite encore pour pouvoir la tenir dans sa poche. Elle menait tous les jours les mères brebis au pré pendant deux heures le matin, et dans le jour pendant trois heures. Les deux gros agneaux supportaient fort raisonnablement l’absence de leurs mères ; ils avaient l’air de savoir qu’elles allaient chercher du lait dans le pré, Bichette était moins patiente ou plus affamée, et, quand sa mère rentrait, elle avait des bêlements si plaintifs en l’entendant venir, que Catherine en avait le cœur tout attendri, et pour un peu elle en eût pleuré.

Il lui était défendu de faire sortir les agneaux. Ils étaient trop jeunes, l’herbe était trop fraîche ; mais elle pria tellement pour sa Bichette que Sylvaine lui dit : — Fais donc comme tu veux ! si elle en meurt, ce ne sera pas une grosse perte, et même j’aimerais autant en être débarrassée ; elle te rend folle, et tu n’as plus souci de rien que d’elle seule. Tu ramènes les brebis trop tôt et tu les sors trop tard, pour ne