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d’un fou rire et se laissa choir sur le gazon. Alors la grenouille entra dans une inexprimable colère. — Tais-toi, petite misérable, s’écria-t-elle, ton rire dérange mes conjurations. Tais-toi, ou je te châtierai comme tu le mérites !

— Mon Dieu ! madame, pardonnez-moi, répondit Marguerite, c’est plus fort que moi. Vous êtes si drôle ! Tenez, il faut que je rie ou que je meure !

— Je ne puis te faire mourir, ce dont j’enrage, reprit Ranaïde en s’élançant sur elle et en lui passant une de ses pattes froides et gluantes sur la figure ; mais tu expieras les tourments que j’endure. Je voulais t’épargner, tu m’ôtes toute pitié ; il faut en finir ! Je souffre trop ! Prends ma laideur et qu’elle soit ajoutée à la tienne, puisqu’en te mettant à ma place je dois être plus vite délivrée ! Tiens ! voilà le miroir, ris à présent, si tu as encore envie de rire !

Marguerite prit le miroir que lui tendait la fée et fit un cri d’horreur en se voyant sans cheveux, la figure verte et les yeux tout ronds. Grenouille ! grenouille ! s’écria-t-elle avec désespoir, je deviens grenouille, je suis grenouille ! c’en est fait ! — Et, jetant te miroir, elle bondit involontairement et plongea dans le bassin.

Elle y resta d’abord comme endormie et privée de toute réflexion ; mais peu à peu elle se ranima en voyant le soleil percer l’horizon et jeter comme une grande nappe de feu qui dorait la pointe des roseaux au-dessus de sa tête. Elle se hasarda alors à remonter sur l’eau, et elle vit un spectacle extra-