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D’abord Marguerite fut très-chagrinée d’entendre son cousin parler de la sorte ; mais tout en parcourant avec elle ces bois, ces champs et ces prairies, qu’il examinait et dont il supputait la valeur, il revint si souvent à cette idée qu’elle serait très-riche et bientôt mariée à son gré, qu’elle commença d’y songer et de s’étonner de n’y avoir jamais songé encore.

Ils arrivèrent, sans se demander où ils allaient, au bord du marécage, et tout à coup Puypercé s’écria : — Ah ! que voilà une belle grenouille ! Je n’en ai jamais vu de si grosse ! C’est bon à manger, les grenouilles ; il faut que je la tue. — Et comme la grenouille dormait au soleil sans se méfier, il leva sa canne.

— Arrêtez, mon cousin, s’écria Marguerite en lui retenant le bras ; ne faites pas de mal à cette bête, vous me feriez beaucoup de peine.

— Pourquoi donc ? reprit le cousin tout étonné, — et il se tourna vers elle en la regardant d’un air singulier.

Ce regard troubla Marguerite. Ne sachant ce qu’elle disait et toute frappée du souvenir de la vision qu’elle avait eue en ce lieu, elle poussa doucement la grenouille avec le bout de son ombrelle en lui disant : — Réveillez-vous, madame, et sauvez-vous.

La grenouille plongea au fond de l’eau, et le colonel se tordit de rire. — Qu’est-ce que vous avez donc à vous moquer comme cela ? lui dit Marguerite ; je ne puis souffrir qu’on fasse du mal aux bêtes…