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bliée à rêver au bord de la rivière ; mais elle n’osa point lui raconter les choses extraordinaires qui lui étaient arrivées ; elle craignait d’être raillée, d’autant plus qu’elle n’était pas bien sûre de n’avoir point vu et entendu ces choses dans un rêve. La seule chose certaine pour elle, c’est que son beau cygne avait disparu, et quand, après l’avoir cherché en vain, tout le monde fût couché, au lieu de dormir, elle ouvrit sa fenêtre, regardant de tous côtés et sifflant doucement, comme elle avait l’habitude de le faire pour l’appeler. Enfin, ne voyant et n’entendant rien que l’orage qui grondait et le vent qui faisait grincer les girouettes, elle se coucha bien chagrine et bien fatiguée.

Alors elle entendit une voix douce comme une musique lointaine qui passait dans le vent d’orage et qui lui disait : — Ne crains rien, je veille sur toi, mais ne te fie point à la reine Coax ; une fille prudente ne doit point causer avec les grenouilles qu’elle ne connaît pas.

À son réveil, elle jugea bien qu’elle avait rêvé cette voix et ces paroles, et bientôt elle crut pouvoir être sûre que les aventures de la veille s’étaient passées dans son imagination, car étant descendue aux douves, le premier objet qu’elle vit fut le beau cygne nageant dans un des bassins. Elle l’appela, lui donna du pain et lui fit mille caresses. Il mangea le pain avec la même gourmandise et reçut les caresses avec la même indifférence que de coutume, car, s’il était beau et bien apprivoisé, il n’était pas pour cela plus spirituel que les autres cygnes. Marguerite es-