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avait fait une sottise au milieu du dîner. Au lieu de le gronder ou de le battre, il lui adressa, d’un ton froid et en le regardant fixement, cette étrange mercuriale :

— Si vous agissez ainsi, monsieur, il se passera du temps avant que vous cessiez d’être chien. Je l’ai été, moi qui vous parle, et il m’est arrivé quelquefois d’être entraîné par la gourmandise, au point de m’emparer d’un mets qui ne m’était pas destiné ; mais je n’avais pas comme vous l’âge de raison, et d’ailleurs sachez, monsieur, que je n’ai jamais cassé l’assiette.

Le chien écouta ce discours avec une attention soumise ; puis il fit entendre un bâillement mélancolique, ce qui, au dire de son maître, n’est pas un signe d’ennui, mais de tristesse chez les chiens ; après quoi, il se coucha, le museau allongé sur ses pattes de devant, et parut plongé dans de pénibles réflexions.

Nous crûmes d’abord que, faisant allusion à son nom, notre voisin avait voulu montrer simplement de l’esprit pour nous divertir ; mais son air grave et convaincu nous jeta dans la stupeur