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consuelo.

prostitution peut-être ! Ah ! monsieur le chanoine, cela souille même la vue ! Distribuez-le aux pauvres, cela portera bonheur à notre pauvre Angèle. »

LXXXI.

Pour la première fois de sa vie peut-être le chanoine ne dormit guère. Il sentait en lui une émotion et une agitation étranges. Sa tête était pleine d’accords, de mélodies et de modulations qu’un léger sommeil venait briser à chaque instant, et qu’à chaque intervalle de réveil il cherchait malgré lui, et même avec une sorte de dépit, à reprendre et à renouer sans pouvoir y parvenir. Il avait retenu par cœur les phrases les plus saillantes des morceaux que Consuelo lui avait chantés ; il les entendait résonner encore dans sa cervelle, dans son diaphragme ; et puis tout à coup le fil de l’idée musicale se brisait dans sa mémoire au plus bel endroit, et il la recommençait mentalement cent fois de suite, sans pouvoir aller une note plus loin. C’est en vain que, fatigué de cette audition imaginaire, il s’efforçait de la chasser ; elle revenait toujours se placer dans son oreille, et il lui semblait que la clarté de son feu vacillait en mesure sur le satin cramoisi de ses rideaux. Les petits sifflements qui sortent des bûches enflammées avaient l’air de vouloir chanter aussi ces maudites phrases dont la fin restait dans l’imagination fatiguée du chanoine comme un arcane impénétrable. S’il eût pu en retrouver une entière, il lui semblait qu’il eût pu être délivré de cette obsession de réminiscences. Mais la mémoire musicale est ainsi faite, qu’elle nous tourmente et nous persécute jusqu’à ce que nous l’ayons rassasiée de ce dont elle est avide et inquiète.

Jamais la musique n’avait fait tant d’impression sur le