Page:Sand - Consuelo - 1856 - tome 3.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
consuelo.

LXXXIV.

Caffariello, en entrant, salua fort peu tout le monde, mais alla baiser tendrement et respectueusement la main de Wilhelmine : après quoi, il accosta son directeur Holzbaüer avec un air d’affabilité protectrice, et secoua la main de son maître Porpora avec une familiarité insouciante. Partagé entre l’indignation que lui causaient ses manières et la nécessité de le ménager (car en demandant un opéra de lui au théâtre, et en se chargeant du premier rôle, Caffariello pouvait rétablir les affaires du maestro), le Porpora se mit à le complimenter et à le questionner sur les triomphes qu’il venait d’avoir en France, d’un ton de persiflage trop fin pour que sa fatuité ne prît pas le change.

« La France ? répondit Caffariello ; ne me parlez pas de la France ! c’est le pays de la petite musique, des petits musiciens, des petits amateurs, et des petits grands seigneurs. Imaginez un faquin comme Louis XV, qui me fait remettre par un de ses premiers gentilshommes, après m’avoir entendu dans une demi-douzaine de concerts spirituels, devinez quoi ? une mauvaise tabatière !

— Mais en or, et garnie de diamants de prix, sans doute ? dit le Porpora en tirant avec ostentation la sienne qui n’était qu’en bois de figuier.

— Eh ! sans doute, reprit le soprano ; mais voyez l’impertinence ! point de portrait ! À moi, une simple tabatière, comme si j’avais besoin d’une boîte pour priser ! Fi ! quelle bourgeoisie royale ! J’en ai été indigné.

— Et j’espère, dit le Porpora en remplissant de tabac son nez malin, que tu auras donné une bonne leçon à ce petit roi-là ?