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consuelo.

Le soir de ce jour-là, Consuelo et Joseph entrèrent dans Vienne à la faveur des ombres. Le brave perruquier Keller fut mis dans la confidence, les reçut à bras ouverts, et hébergea de son mieux la noble voyageuse. Consuelo fit mille amitiés à la fiancée de Joseph, tout en s’affligeant en secret de ne la trouver ni gracieuse ni belle. Le lendemain matin, Keller tressa les cheveux flottants de Consuelo ; sa fille l’aida à reprendre les vêtements de son sexe, et lui servit de guide jusqu’à la maison qu’habitait le Porpora.

LXXXII.

À la joie que Consuelo éprouva de serrer dans ses bras son maître et son bienfaiteur, succéda un pénible sentiment qu’elle eut peine à renfermer. Un an ne s’était pas écoulé depuis qu’elle avait quitté le Porpora, et cette année d’incertitudes, d’ennuis et de chagrins avait imprimé au front soucieux du maestro les traces profondes de la souffrance et de la vieillesse. Il avait pris cet embonpoint maladif où l’inaction et la langueur de l’âme font tomber les organisations affaissées. Son regard avait le feu qui l’animait encore naguère, et une certaine coloration bouffie de ses traits trahissait de funestes efforts tentés pour chercher dans le vin l’oubli de ses maux ou le retour de l’inspiration refroidie par l’âge et le découragement. L’infortuné compositeur s’était flatté de retrouver à Vienne quelques nouvelles chances de succès et de fortune. Il avait été reçu avec une froide estime, et il trouvait ses rivaux, plus heureux, en possession de la faveur impériale et de l’engouement du public. Métastase avait écrit des drames et des oratorio pour Caldera, pour Predieri, pour Fuchs, pour Reüter et pour Hasse ; Métastase, le poëte de la cour (poeta cesareo), l’écrivain à la