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domaine du profane en se permettant les ornements, les traits et les roulades.

« Est-ce donc, lui dit Anzoleto, que votre seigneurie réprouve ces traits et ces ornements difficiles qui ont cependant fait le succès et la célébrité de son illustre élève Farinelli ?

— Je ne les réprouve qu’à l’église, répondit le maestro. Je les approuve au théâtre ; mais je les veux à leur place, et surtout j’en proscris l’abus. Je les veux d’un goût pur, sobres, ingénieux, élégants, et, dans leurs modulations, appropriés non-seulement au sujet qu’on traite, mais encore au personnage qu’on représente, à la passion qu’on exprime, et à la situation où se trouve le personnage. Les nymphes et les bergères peuvent roucouler comme les oiseaux, ou cadencer leurs accents comme le murmure des fontaines ; mais Médée ou Didon ne peuvent que sangloter ou rugir comme la lionne blessée. La coquette peut charger d’ornements capricieux et recherchés ses folles cavatines. La Corilla excelle en ce genre : mais qu’elle veuille exprimer les émotions profondes, les grandes passions, elle reste au-dessous de son rôle ; et c’est en vain qu’elle s’agite, c’est en vain qu’elle gonfle sa voix et son sein : un trait déplacé, une roulade absurde, viennent changer en un instant en ridicule parodie ce sublime qu’elle croyait atteindre. Vous avez tous entendu la Faustina Pordoni, aujourd’hui madame Hasse. En de certains rôles appropriés à ses qualités brillantes, elle n’avait point de rivale. Mais que la Cuzzoni vînt, avec son sentiment pur et profond, faire parler la douleur, la prière, ou la tendresse, les larmes qu’elle vous arrachait effaçaient en un instant de vos cœurs le souvenir de toutes les merveilles que la Faustina avait prodiguées à vos sens. C’est qu’il y a le talent de la matière, et le génie de l’âme. Il y a ce qui amuse, et ce qui