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sens du public qui ne s’acquièrent qu’avec des années de pratique, et que n’auront pas de longtemps d’autres débutantes.

— Cela est vrai, dit le comte ; mais enfin nous avons formé la Corilla, nous l’avons vue commencer, nous l’avons fait accepter au public ; sa beauté a fait les trois quarts de son succès, et vous avez d’aussi charmantes personnes dans votre école. Vous ne nierez pas cela, mon maître ! Voyons, confessez que la Clorinda est la plus belle créature de l’univers !

— Mais affectée, mais minaudière, mais insupportable… Il est vrai que le public trouvera peut-être charmantes ces grimaces ridicules… mais elle chante faux, elle n’a ni âme, ni intelligence… Il est vrai que le public n’en a pas plus que d’oreilles… mais elle n’a ni mémoire, ni adresse, et elle ne se sauvera même pas du fiasco par le charlatanisme heureux qui réussit à tant de gens ! »

En parlant ainsi, le professeur laissa tomber un regard involontaire sur Anzoleto, qui, à la faveur de son titre de favori du comte, et sous prétexte de venir lui parler, s’était glissé dans la classe, et se tenait à peu de distance, l’oreille ouverte à la conversation.

« N’importe, dit le comte sans faire attention à la malice rancunière du maître ; je n’abandonne pas mon idée. Il y a longtemps que je n’ai entendu la Clorinda. Faisons-la venir, et avec elle cinq ou six autres, les plus jolies que l’on pourra trouver. Voyons, Anzoleto, ajouta-t-il en riant, te voilà assez bien équipé pour prendre l’air grave d’un jeune professeur. Entre dans le jardin, et adresse-toi aux plus remarquables de ces jeunes beautés, pour leur dire que nous les attendons ici, monsieur le professeur et moi. »

Anzoleto obéit ; mais soit par malice, soit qu’il eût ses vues, il amena les plus laides, et c’est pour le coup que