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consuelo.

m’en ressens plus depuis que tu es là ; si j’ai soupé je ne m’en souviens pas ; si je t’ai accusé… de quoi t’aurais-je accusé ? si j’ai été inquiète… pourquoi l’aurais-je été ? si je t’en veux ? jamais.

— Tu es un ange, toi ! dit Anzoleto en l’embrassant. Ah ! ma consolation ! que les autres cœurs sont perfides et durs !

— Hélas ! qu’est-il donc arrivé ? quel mal a-t-on fait là-bas au fils de mon âme ? dit Consuelo, mêlant au gentil dialecte vénitien les métaphores hardies et passionnées de sa langue natale.

Anzoleto raconta tout ce qui lui était arrivé, même ses galanteries auprès de la Corilla, et surtout les agaceries qu’il en avait reçues. Seulement, il raconta les choses d’une certaine façon, disant tout ce qui ne pouvait affliger Consuelo, puisque, de fait et d’intention, il lui avait été fidèle, et c’était presque toute la vérité. Mais il y a une centième partie de vérité que nulle enquête judiciaire n’a jamais éclairée, que nul client n’a jamais confessée à son avocat, et que nul arrêt n’a jamais atteinte qu’au hasard, parce que dans ce peu de faits ou d’intentions qui reste mystérieux, est la cause tout entière, le motif, le but, le mot enfin de ces grands procès toujours si mal plaidés et toujours si mal jugés, quelles que soient la passion des orateurs et la froideur des magistrats.

Pour en revenir à Anzoleto, il n’est pas besoin de dire quelles peccadilles il passa sous silence, quelles émotions ardentes devant le public il traduisit à sa manière, et quelles palpitations étouffées dans la gondole il oublia de mentionner. Je crois même qu’il ne parla point du tout de la gondole, et qu’il rapporta ses flatteries à la cantatrice comme les adroites moqueries au moyen desquelles il avait échappé sans l’irriter aux périlleuses avances dont elle l’avait accablé. Pourquoi, ne voulant pas et ne pou-