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mais peut-être un peu maladive, de son esprit, sentait quelque mouvement de fièvre, que la fraîcheur du soir ne pouvait calmer. Il lui semblait toucher au terme de son entreprise. Un pressentiment romanesque, qu’elle prenait pour un ordre et un encouragement de la Providence, la tenait active et agitée. Elle s’assit sur un tertre de gazon planté de mélèzes, et se mit à écouter le bruit faible et plaintif du torrent au fond de la vallée. Mais il lui sembla qu’une voix plus douce et plus plaintive encore se mêlait au murmure de l’eau et montait peu à peu jusqu’à elle. Elle s’étendit sur le gazon pour mieux saisir, étant plus près de la terre, ces sons légers que la brise emportait à chaque instant. Enfin elle distingua la voix de Zdenko. Il chantait en allemand ; et elle recueillit les paroles suivantes, arrangées tant bien que mal sur un air bohémien, empreint du même caractère naïf et mélancolique que celui qu’elle avait déjà entendu :

« Il y a là-bas, là-bas, une âme en peine et en travail, qui attend sa délivrance.

« Sa délivrance, sa consolation tant promise.

« La délivrance semble enchaînée, la consolation semble impitoyable.

« Il y a là-bas, là-bas, une âme en peine et en travail qui se lasse d’attendre. »

Quand la voix cessa de chanter, Consuelo se leva, chercha des yeux Zdenko dans la campagne, parcourut tout le parc et tout le jardin pour le trouver, l’appela de divers endroits, et rentra sans l’avoir aperçu.

Mais une heure après qu’on eût dit tout haut en commun une longue prière pour le comte Albert, auquel on invita tous les serviteurs de la maison à se joindre, tout le monde étant couché, Consuelo alla s’installer auprès de la fontaine des Pleurs, et, s’asseyant sur la margelle, parmi les capillaires touffues qui y croissaient naturelle-